Dominique Marion et le Requiem de Mozart

Dominique Marion vient de la photographie, il est depuis toujours passionné par la musique et nul doute qu’il aime aussi la technologie, surtout quand elle se met au service de l’art.

Grand amateur de musique classique, il a pris, depuis quelques années l’habitude d’enregistrer la chorale Gratiana, ce qui lui a donné une expérience du terrain appréciable, comme vous pourrez en juger en lisant ces lignes.

Dominique a débuté, il y a quelques années, avec une tête Soundfield et un enregistreur portable, aujourd’hui, sa collection s’est nettement agrandie et il dispose d’une dizaine de micros, douze si on compte ceux qu’un magasin de musique de la région dont le nom ne me revient plus, lui prête de bonne grâce. L’enregistreur portable a fait place à un Macbook + Protools, et une carte RME Fireface 800, à laquelle est venue se greffer un Octamic RME.

C’est avec Tullio Rizzato que Dominique s’est formé à la prise de son, au conservatoire de Grenoble, son expérience du terrain s’est donc enrichie d’une connaissance théorique qui lui permettent de s’attaquer aujourd’hui à des « chantiers » conséquents.

Voici donc un compte rendu de son expérience de preneur de son sur un concert donné à l’église Saint Jean à Grenoble. Imaginez le tableau, 30 musiciens , 4 solistes, 60 choristes, 800 personnes dans la salle et la pluie qui cogne contre le toit de l’église. Pour cette réalisation, Dominique s’est allié à un autre Dominique, Delepierre de son nom, qui lui s’occupait de la captation vidéo. Le résultat est très réussit, pour la partie vidéo, comme pour la partie audio (je vous assure que la chair de poule m’a saisit à plusieurs reprises quand Dominique est venu écouter son mixage sur les SM9 du magasin) il faudra d’ailleurs un jour que je vous parle un peu du deuxième Dom et de son incroyable système de captation Audio vidéo, tout numérique et automatisé !

En attendant, la parole est à Dominique Marion:

Enregistrer un ensemble solistes, orchestre, chœur,  pour  la création d’un DVD.

Lieux : Eglise de St Jean à Grenoble

Œuvre principale : Requiem de Mozart

Composition de l’ensemble :

  • Solistes :  4 solistes
  • soprano, alto, ténor, basse
  • Orchestre :30 musiciens
  • Cordes : violons 1 et 2, Alto, violoncelles, contrebasses
  • Instruments à vent : trombones, trompettes, haut bois
  • Orgue positif
  • Timbales
  • Chœur : 60 choristes sur les 4 pupitres classiques

 Moyens techniques son:

  •             12 préamplis micros RME (Fireface800+ Octamic)
  •             12 micros
  •             Numérisation RME
  •             Enregistrement avec Protools sur Mac
  •             Pieds et câbles mutlipaires idoines

 

Mercredi soir : répétition générale

observation,placement, anticipation des problèmes

Vendredi :

  • 14h: Début de l’installation : les 12 micros sont placés, les câbles sont tirés de telle façon que tous les micros peuvent chacun être bougés dans un rayon de 2 m de leur place estimée. La configuration Protool est faite, les micros sont testés.
  • 18 h: Le Chef arrive et dit qu’il va changer toute la disposition (très classique car les répétitions avec tout le monde en salle de concert sont très chères donc rares).Le nombre de places vendues pouvant changer la résonnance de l’église, l’équilibre de tous les registres, la puissance des violons, des vents, du chœur etc. font que le chef doit s’adapter, tout prendre en compte. Il est de la responsabilité  du chef que l’ensemble sonne bien.
  • 19 h: Le chœur et les solistes s’échauffent, les musiciens s’accordent les changements de place se précisent vite, on place les micros, on tente de vérifier leur emplacement
  • 19h30: On raccorde. Le chef fait répéter des départs ou des reprises qu’il juge nécessaire. Pour nous c’est la ½ heure pour vérifier que nos hypothèses sont bonnes et non pour se rassurer, car les changements sont quasi impossibles question de temps. Il suffit de régler les niveaux, tous les niveaux en même temps car le raccord peut durer 2 mesures, le chef arrête, il est content, nous on espère qu’il les reprenne mais déjà ce sont les trombones suivi par l’orgue seul ,4 mesures, génial c’est long, puis la soprano qui chante les 3 dernières mesures avant la reprise de l’orchestre sur ½ mesure, la basse ou l’orgue ou les deux reprenant chacun une mesure problématiqueet ce en même temps.
  • 20 h: Tout le monde est parti, le public rentre. On vérifie à l’écoute au casque qu’il n’y pas d’erreurs flagrantes dans la disposition.
  • 20h 30: Début du concert. Entrée des musiciens, des choristes, des solistes. Ouf ! Aucunmicro n’a été déplacé ou  débranché. En attente du fortissimo non anticipé ou d’un piano oublié  (la c’est la connaissance de l’oeuvre  qui est primordiale) on écoute les premières note et coup de chances les niveaux semblent bons. Deux réactions sont possibles : la première « alea jacta es », la seconde, on vérifie si tous les micros sonnent bien, on imagine le travail en post.

 

Avant de décrire le matériel et son placement il faut bien se dire que les solistes, les musiciens et le chef sont là pour chanter devant un public et certainement pas pour vous.  Si exceptionnellement vous obtenez une reprise spéciale son, c’est que vous êtes vraiment accepté ou que vous l’avez demandé judicieusement ou vous avez de la chance ou c’est comme çà.

 L’installation :

Où se mettre ? Quand on est plusieurs, on peut se mettre en coulisse. Je ne choisis pas cette solution. Pourquoi ? En général je suis seul et les aller-et-retour pour placer un micro, pour vérifier son emplacements puis revenir prennent du temps et le temps est plus que compté. Je m’installe donc derrière les choristes. Ca prive de retours monitorings de qualité mais ne change pas beaucoup car: soit l’installation est loin en coulisse avec 30  à 40 m de multipaires à 12 brins ce qui permet une écoute sereine, soit elle est à côté, et on ne peut rien entendre avec précision dans la ½ h fatidique. D’autre part, pendant que le public rentre, à chaque fois que j’ai modifié quelque chose (sauf un mauvais contact ou un câble), je me suis planté. Donc on sert les fesses.  Des fois je me trompe honteusement, j’ai un doute, et je me rends compte au court du concert de ce que j’aurais du faire si j’avais été moins. …

Choix des micros :

Le chœur:

rode-NT4

Tous les chœurs amateurs que je connais ont un gros défaut, le manque d’hommes donc de ténors et de basses. La chorale Gratiana ne fait malheureusement pas exception. Pour équilibrer l’ensemble, je choisis deux cardioïdes Neumann KM184 que je place à droite et à gauche vers les soprani et vers les alti à environ 1/5 de la largeur du chœur. Pourquoi des cardio ? Juste devant le chœur, il y a les vents et la timbale, on les aura de toute façon détimbrés et en déphasage mais çà limite leur influence,je pourrais alors rehausser légèrement mes soprani et mes alti pour leur donner un peu de définition. Au milieu, je place un XY Rode NT4 pour avoir un panoramique variable sur les hommes le XY étant en coïncidence, on peut augmenter la largeur à la limite du déphasage avec le couple principale. Nous avons donc:

1/5 micro  2/5XY2/5   micro 1/5.

Le rapport entre la distance des micros et de la source sonore est suffisamment grand (>3) pour  limiter les déphasages. La hauteur des micros se situe au niveau des têtes du troisième  rang,  en direction des têtes du deuxième rang et à moins d’ 1m du premier rang sur un total de 4 rangs, vous avez suivi ! Mais tout dépend de la courbe de directivité des micros.

 

158648

L’orchestre

Il est constitué de deux zones. Devant, les cordes et derrière, les vents et timbales. N’ayant pas assez de micros, j’opte de ne pas prendre de façon individuelle les vents et timbales. Les micros des cordes devrontfaire ce travail.

Les cordes sont toutes sur deux rangs

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Deux micros omnidirectionnels DPA 2006 seront utilisés pour  les violons et les violons alti, je me cale sur le violon du milieu à une hauteur d’environ 80 cm  et juste au niveau de son épaule gauche, ici il n’y que deux violons en premier rang c’est donc le plus à droite. Le deuxième micro sera à la verticale de l’épaule droite de l’alto le plus à gauche.

Les violoncelles et les contrebasses seront captés par le micro des violons alti et le couple principal. Pour capter la rondeur de ces instruments, je place devant eux à 20 cm du sol et dirigé vers celui-ci,un cardioïde AKG C414, la réflexion même sur de la moquette est très riche.

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Enfin l’orgue positif est très discret, il apporte des phrases musicales de complément et ne doit pas être oublier dans la masse, il faut donc le capter dès sa sortie au risque d’entendre le mécanisme, un autre cardioïde AKG C414 fera l’affaire. Si aucun instrument n’est devant, un 8 serait idéal mais ici ce n’était pas le cas.

violoncelle

Les solistes

Ils sont en deux couples, sur le devant de la scène de part et d’autre du chef

titan_optmz

Une seule chose à dire : si ce sont de bons solistes et c’était le cas, sortir ses meilleurs micros n’est pas inutile, ils vous donneront toute la richesse des voix.  Un micro pour deux suffit. Pour la soprano et le ténor un SE TITAN et pour l’alto et la basse un Audiotechnica AT 5040 .

N’oubliez jamais que les artistes ne sont pas là pour vous donc, ne leur demandez rien, sinon de ne pas trop changer de place lors de leur intervention. S’ils chantent avec partition, qu’elle ne masque pas le micro et que celui-ci ne capte pas le bruit des pages tournées.

AT5040_4

Le couple principal.

Un AB, un Arbre Decca, un ORTF ou un MS la discussion serait très intéressante mais je n’ai pas une microthèque  suffisante pour m’y intéresser. Je capte donc avec ce que j’ai, un MS Soundfield 250 et je me dis que c’est bien. Je récupère le plus de souplesse possible dans l’angle restitué. Indiscutablement, pour moi, cinq Schoeps en Arbre Decca préamplifiés par cinq Avalon seraient plus judicieux… Mais…

Le vrai casse-tête est de trouver sa position, sa hauteur et son orientation. Dans St Jean, l’écoute avec un escabeau lors d’une répétition est très utile et nous renseigne bien pour placer le couple dans une salle vide. Rajoutez 800 personnes et la salle sonnera totalement différemment. C’est donc avec l’expérience de chaque salle que nous sommes amenés à placer le couple. La hauteur et l’orientation ne changent pas beaucoup, un peu plus de 3m et dirigé légèrement au-dessus de la tête du chef. La distance est donnée par l’intuition : un peu plus loin que le point critique (direct / première réverb) à St Jean, un peu plus près que ce point à Messiaen.

ST250

 

Étalonnage des distances couples/micros

Quand le couple principal va recevoir le son d’un instrument ou les voix d’un pupitre, le micro d’appoint de cet instrument ou de ces voix aura capter depuis longtemps la vibration émise. C’est pourquoi il faut appliquer un délai sur le micro d’appoint correspondant à la distance entre celui-ci et le couple. Ce délai est en fonction de la vitesse du son : par exemple, si vous faites un enregistrement sous l’eau, d’un orchestre de plongeurs, si le  micro des violons 1 se trouve à 4 m ducouple principal le délai à mettre sur ce micro, c’est à dire le retard de diffusion sera de 0,0006746 ms x 4 soit 0,002698 ms par contre ne vous laissez pas piéger par l’eau de mer par rapport à l’eau douce, la vitesse de propagation du son n’est pas tout à fait la même. Rassurez-vous, les enregistrements sous-marins sont assez exceptionnels et ce sera donc les pieds sur terre, à des altitudes comme Grenoble, que nous travaillerons le plus. Nous prendrons alors un délai de 3 ms (0,003s) par mètre.

Attention au micro omnidirectionnel : si un instrument se trouve derrière, aucun problème, la distance entre cet instrument et le couple sera égale à la somme de la distance du micro d’appoint/couple + distance micro d’appoint/ instrument ; les délais sont ainsi respectés.Mais si l’instrument est placé entre son micro d’appoint et le couple, tout se complique. En effet, si nous plaçons l’omnidirectionnel au milieu des 2 rangs de deux violons ; le premier violon est à 1m(3 ms) de son micro d’appoint qui lui est à 4 m du couple principal et à 3m (9ms) du couple. Le délai de lecture du micro étant de 12ms (4m x 3ms) le son de l’instrument sera donc reproduit par son micro d’appoint avec 12+3 soit 15ms comme si celui ci se trouvait à 5 m du couple nous avons donc un delta de 6ms entre les deux reproductions de quoi déphaser et perdre tout intérêt du micro d’appoint.

C’est pourquoi je le mets au niveau de l’épaule du premier rang de violon.

Voilà ça joue, c’est beau, je suis très mal placé donc j’écoute le concert au casque et là j’entends la pluie… Personne ne s’en est rendu compte pendant le concert mais elle est bien là.  Ce sera quasi impossible de supprimer ce bruit provenant du toit de l’église mais on ne le distinguera que si on est averti.

Attention au bis non prévu, aux mots du chef ou aux remerciements c’est bien de les avoir.

Une fois le concert terminé,on enregistre et on sauvegarde ; c’est lourd, bien prévoir de la place sur les disques durs, celui du Mac et de la sauvegarde.

C’est le moment que tout le monde attendait, le pot de fin concert ! Mais il vous reste encore une bonne heure de travail pour tout ranger et quand ce sera fini, il ne restera plus rien à boire et à manger. C’est la dure loi des techniciens.

Puis, après avoir passer plusieurs jours detravail pour mixer tout çà, on vous demande alors des copies en mp3 pour écouter sur un ordi portable (on se dit vraiment que mon vieux zoom H2 aurait suffit). Non, je plaisante : quand les musiciens sont bons, quel plaisir de travailler sur un bon enregistrement.

 

requiem

 

 

 

 

 

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